Programmation monétaire de la BEAC : éléments méthodologiques

I – BUT DE LA PROGRAMMATION MONETAIRE

La mise en place de la programmation monétaire dans la Zone d’Emission constitue la réponse de la BEAC aux critiques formulées à l’encontre de l’ancien système, en vigueur jusqu’au début des années 90, des plafonds globaux de refinancement des banques commerciales. Cette méthode, qui permettait de déterminer le montant maximum d’intervention de la Banque Centrale à partir des prévisions de déficits des banques après confrontation de leurs emplois et ressources s’est en effet avérée limitée et inopérante, particulièrement dans le contexte de crise de la fin des années 80.

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Les principales faiblesses relevées portaient sur :

i) le caractère passif et statique de la technique des plafonds globaux de refinancement, laquelle reposait sur l’appréciation des besoins de trésorerie des banques à partir de leur situation financière passée ;

ii) le décalage méthodologique des prévisions monétaires par rapport au cadre macroéconomique, l’ancien système étant essentiellement fondé sur l’analyse des bilans des banques, sans tenir compte des données macroéconomiques relatives au PIB, à l’inflation, aux comptes extérieurs, à la situation budgétaire, etc. Dans ce contexte, il est arrivé que l’on procède à une augmentation des plafonds de refinancement en faveur des banques nonobstant un fléchissement des avoirs en Compte d’Opérations ;

iii) l’asymétrie dans l’évolution et l’inefficacité du mécanisme des plafonds globaux de refinancement, lequel fonctionnait généralement à la hausse en raison précisément de sa déconnexion du cadre macroéconomique, les marges ainsi accumulées au fil des années rendant inopérante les réductions de plafond ;

iv) le caractère partiel des prévisions monétaires du fait que la méthode de fixation des plafonds globaux ne permettait pas de projeter les autres agrégats monétaires comme les avoirs extérieurs nets, le crédit intérieur et la masse monétaire.

A partir de 1991, la programmation monétaire avait pour but de pallier ces insuffisances.

II – DEMARCHE DE LA PROGRAMMATION MONETAIRE

La programmation monétaire repose sur la méthode dite de projection directe. Celle-ci consiste à déterminer par étapes successives les différents agrégats des secteurs macroéconomiques (secteur réel, finances publiques, secteur extérieur, secteur monétaire) avant d’assurer la cohérence d’ensemble du cadre macroéconomique. L’avantage de cette méthode, par ailleurs utilisée dans l’élaboration et le suivi des programmes d’ajustement soutenus par le FMI, est de laisser une bonne place au jugement. Elle s’oppose ainsi à la méthode économétrique qui suppose l’utilisation d’un modèle économétrique complexe comportant plusieurs équations et nécessitant des données très fiables. Dans les deux cas, le recours à l’informatique ainsi qu’aux tests de cohérence et de pertinence des données est incontournable.

La démarche de la programmation monétaire étant essentiellement macroéconomique, l’exercice s’articule généralement en deux temps, à savoir tout d’abord l’établissement des prévisions des agrégats économiques et financiers et ensuite la détermination des objectifs monétaires et de crédit. Cependant, il importe de préciser que cette décomposition apparaît purement analytique et didactique car les différentes étapes de la programmation se confondent en pratique à travers les multiples itérations et tests de cohérence devant conduire à l’établissement du cadrage macroéconomique définitif.

L’exposé qui suit se cantonne à l’ébauche des grandes lignes des prévisions macroéconomiques.

Ainsi, d’une façon générale, l’exercice de programmation monétaire se déroule en trois grandes étapes, à savoir :

i) les prévisions sectorielles, qui impliquent :

  • la collecte (auprès des administrations, des entreprises et des institutions nationales) des informations statistiques (données chiffrées) et analytiques (commentaires sur les évolutions et les tendances, éléments de politique économique, financière et monétaire, etc.) ;
  • l’analyse et le traitement des informations collectées en procédant à leur vérification ainsi qu’à des tests de fiabilité, de pertinence et de cohérence des données afin de procéder aux arbitrages nécessaires ;
  • la saisie dans le fichier informatique des données, en veillant au respect de la cohérence intra et intersectorielle.

ii) l’arrêté du cadrage macroéconomique, qui concerne :

  • l’évaluation approfondie et collective du cadrage macroéconomique, avec l’analyse minutieuse et l’interprétation des résultats obtenus. A ce stade, il convient de mettre un accent particulier sur la pertinence et la cohérence des données afin de garantir la robustesse du cadrage. Les axes d’analyse portent notamment sur les relations intra et intersectorielles, les évolutions historiques, l’adéquation du cadrage avec l’environnement économique interne et externe ainsi qu’avec la théorie économique, etc. ;
  • la lecture macroéconomique du cadrage en vue d’appréhender l’essentiel de l’évolution récente et les perspectives de l’économie nationale.

Il importe de souligner que le cadrage macroéconomique constitue une phase critique de l’exercice de programmation monétaire en ce qu’il détermine la solidité du socle sur lequel doit se fonder la note de programmation monétaire. En conséquence, un soin particulier doit être apporté à son élaboration afin d’éviter de fragiliser l’ensemble de l’exercice.

Au total, la qualité du cadrage macroéconomique dépend de la maîtrise par l’ensemble des membres de l’équipe de programmation monétaire a) de la théorie économique et financière en général et des techniques de programmation financière en particulier, b) des données structurelles de l’économie nationale, c) de l’environnement interne et externe de l’économie, et d) des techniques statistiques de base (ratios, moyennes, indices, etc.).

iii) la rédaction de la note de programmation monétaire :

  • elle est assurée, pour chaque secteur macroéconomique, par le responsable du secteur concerné avec le souci d’assurer la pertinence et la cohérence des données et des analyses.

III – PREVISIONS DU CADRE MACROECONOMIQUE ET DETERMINATION DES OBJECTIFS MONETAIRES ET DE CREDIT

a). Prévisions du secteur réel

Elles sont fondées sur les prévisions des comptes nationaux et des prix effectuées par les services de la comptabilité nationale des Etats, principalement dans le cadre des plans pluriannuels de développement, des rapports économiques accompagnant les Lois de Finances et des programmes conclus avec les Institutions de Bretton Woods.

En tout état de cause les chiffres des Autorités nationales sont retenus en priorité. Toutefois, si des problèmes apparaissent au plan de la cohérence générale de l’exercice du fait des chiffres officiels utilisés, des discussions doivent être engagées avec les services compétents des Etats pour qu’ils procèdent éventuellement à des réaménagements, s’ils le jugent eux-mêmes fondés.

b). Prévisions des finances publiques

Il s’agit d’élaborer, en étroite collaboration avec les services financiers des Etats, le tableau prévisionnel des opérations financières de l’Etat (TOFE), en intégrant les recettes et les dépenses budgétaires ainsi que les financements extérieurs, de manière à dégager le déficit de trésorerie (ou l’excédent) qui sera financé (ou absorbé) par le système bancaire.

Sur la base du déficit dégagé, l’on prévoit le recours du Trésor aux avances de l’Institut d’Emission qui, conformément aux Statuts de la Banque, ne doivent pas dépasser l’équivalent de 20 % des recettes budgétaires ordinaires d’origine nationale constatées au cours de l’exercice écoulé.

Pour des raisons de cohérence, les prévisions de recettes à retenir doivent être compatibles avec le niveau prévu des importations (pour les droits de douane) et le PIB hors secteur de subsistance (pour les impôts et taxes sur la consommation). Ce tableau prévisionnel doit également intégrer les intérêts à verser à l’Institut d’Emission au titre des opérations traditionnelles ainsi que le service de la dette résultant des consolidations de refinancement sur les Trésors nationaux dans le cadre de la réhabilitation du système bancaire. En toute hypothèse, le TOFE doit clairement faire apparaître les rubriques relatives à l’amortissement des sommes dues par l’Etat à la BEAC.

c). Prévisions de la balance des paiements

Les prévisions du secteur extérieur concernent d’abord les exportations des principaux produits, les importations ainsi que les services et les transferts sans contrepartie, tous ces éléments contribuant à la détermination du solde courant de la balance des paiements. Elles portent également sur les mouvements de capitaux, notamment sur les ressources d’emprunt attendues de l’extérieur et l’amortissement prévu de la dette ainsi que les tirages, emprunts et investissements directs du secteur privé.

Le solde global tiré de l’ensemble de ces éléments, confronté à la variation des arriérés extérieurs et l’allégement possible de la dette, permet de connaître l’évolution probable des réserves officielles de change qu’il convient, par itérations de rendre compatible avec les prévisions monétaires.

d). Prévisions monétaires et détermination des objectifs monétaires et de crédit

Les prévisions monétaires permettent de déterminer le niveau des avoirs extérieurs, du crédit intérieur, de la masse monétaire et d’en déduire l’objectif de refinancement. Ces prévisions constituent l’aboutissement de l’exercice de programmation monétaire.

Les principales étapes de cet exercice sont les suivantes :

i) Projection de la masse monétaire sur la base du PIB nominal prévu et de l’hypothèse de stabilité de la vitesse de circulation de la monnaie. Cet agrégat est ensuite décomposé en circulation fiduciaire (pour le bilan de la Banque Centrale) et en dépôts à vue et à terme (pour la situation résumée des banques) en utilisant la structure antérieure de cet agrégat ;

ii) Détermination des avoirs intérieurs net en faisant la différence entre la masse monétaire et les avoirs extérieurs nets, ces derniers étant connus car fixés de façon discrétionnaire (lorsque le taux de couverture extérieure se situe en deçà de 20 %) ou à partir du déficit (ou excédent) résiduel de la balance des paiements ;

iii) Projection des “Autres postes nets” que l’on peut maintenir inchangés en l’absence d’informations pertinentes ou faire varier si l’on dispose d’informations fiables, par exemple sur l’évolution des fonds propres des banques ;

iv) Calcul du crédit intérieur par différence entre les avoirs intérieurs nets et les “Autres postes nets” ;

v) Détermination des crédits à l’économie de façon résiduelle par déduction des créances nettes sur l’Etat (issues du TOFE) du crédit intérieur.

vi) Détermination de l’Objectif de refinancement de la Banque Centrale après avoir procédé à l’éclatement de la situation monétaire prévisionnelle ainsi élaborée en situation résumée des banques d’une part, et en situation de la Banque Centrale d’autre part (voir détails dans la note relative aux prévisions monétaires).

Plusieurs itérations sont généralement indispensables pour assurer la cohérence générale du cadrage, à travers des ajustements des niveaux des divers agrégats des quatre secteurs macroéconomiques