Microfinance

Le développement de la micro-finance dans les Etats membres de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) reste embryonnaire jusqu’en 1990 alors qu’à l’échelle internationale, cette activité connaît un essor florissant. En effet, en dépit de quelques expériences menées depuis de longues années au Cameroun, au Congo, au Tchad et en Centrafrique, le secteur de la micro-finance n’a pas eu d’emprise significative sur les populations de la sous-région.

A partir des années 1990, trois facteurs principaux ont favorisé l’éclosion et l’expansion rapide de ce secteur.

En premier lieu, la grave crise des années 80 qui a sévèrement affecté les économies de la sous-région et en particulier les systèmes financiers, a entraîné des restructurations profondes menées par les Etats dans tous les secteurs d’activité.

Dans le domaine bancaire, en laminant les petites épargnes, les nombreuses faillites ont accru, dans les populations surtout à faible revenu, un climat de défiance. Ces faillites ont également provoqué des licenciements massifs notamment de cadres de banque expérimentés qui, faute de mieux pour subsister, se sont lancés dans la création incontrôlée des entités de micro-finance.

De plus, suite à la mise en œuvre des plans de restructuration, les banques classiques ont durci les conditions d’accès à leurs services et redimensionné leur réseau. Cette évolution a eu pour conséquence une marginalisation d’une plus grande frange des populations par rapport à l’accès aux services bancaires et une aggravation de la sous bancarisation, surtout des zones rurales. Dès lors, les structures de micro-finance se sont révélées de plus en plus attractives par leur proximité, la simplicité de leur approche commerciale et leur capacité d’adaptation présumée.

En second lieu, au plan international, le mouvement de la micro-finance s’est amplifié parce que désormais considéré comme un des vecteurs essentiels de la lutte contre la pauvreté. En effet, hormis les services complémentaires (alphabétisation, formation, santé, etc.) prévus dans leurs différents programmes, les bailleurs de fonds internationaux reconnaissent qu’une partie significative des besoins cruciaux des populations marginalisées peut être satisfaite par des micro-crédits pour lesquels les banques classiques ne sont pas disposées à intervenir. Dans le même temps, le mouvement international de la micro-finance préconise à terme l’appropriation locale de l’activité par une démarche pédagogique inculquant aux populations notamment rurales des méthodes simplifiées d’épargne.

Enfin, l’activité de micro-finance dans les Etats de la CEMAC s’est effectuée dans un cadre juridique particulièrement inadapté.

Au Cameroun, la loi du 14 août 1992 a prévu des dispositions applicables aux seules coopératives d’épargne et de crédit, laissant de côté de nombreuses structures ayant opté pour une forme juridique différente. Par ailleurs, pour des coopératives exerçant des opérations de collecte de l’épargne et de distribution de crédit, l’autorité de tutelle était le Ministre de l’Agriculture alors qu’elle aurait dû être le Ministre en charge de la Monnaie et du Crédit. De surcroît, aucune autorité de contrôle n’a été prévue.

Dans les cinq autres Etats membres, les entités de micro-finance se sont appuyées sur les lois relatives aux associations ou aux coopératives en vigueur sans que ces textes aient été spécifiquement conçus pour l’activité d’épargne et de crédit.

Au plan de la réglementation bancaire, la Convention de 1992, régissant les activités des banques et des établissements financiers, s’est révélée inadaptée à cette nouvelle forme d’activité financière. En effet, les formes juridiques de type coopératif et associatif, l’extrême dispersion géographique des entités concernées, l’émiettement des opérations de crédit et d’épargne ont rendu difficilement applicable la dite convention.

Cet environnement a contribué non seulement à un développement incontrôlé des structures de micro-finance mais aussi à de nombreux cas de faillite qui ont asséché les maigres économies d’une population devenue très frileuse, au risque de compromettre lourdement les chances de survie du secteur émergent et surtout de consacrer définitivement la défiance d’une grande frange des populations de la zone à l’égard de tout organisme financier.

D’OU EST VENUE L’IMPULSION ?

Conscients de la nécessité de remédier à cette situation, la Conférence des Chefs d’Etat de la CEMAC a demandé au Gouverneur de la Banque des Etats de l’Afrique Centrale de lui soumettre un projet de texte sous-régional réglementant l’activité de micro-finance.

Sur la même période, les programmes d’assainissement économique et financier conclus entre les Etats et les Institutions de Bretton Wood ont mis un accent particulier sur la nécessité de concevoir un cadre réglementaire approprié au développement de ce secteur.

C’est dans ce contexte qu’en sa qualité de Président de la Commission Bancaire de l’Afrique Centrale (COBAC), le Gouverneur de la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC) a chargé le Secrétaire Général de la COBAC d’élaborer un projet de texte.

QUELLE EN EST LA PROBLEMATIQUE ?

Le présent projet de texte apporte des réponses spécifiques aux éléments de problématique qui ne manquent pas de se poser à chaque tentative de régulation du secteur de la microfinance. L’activité est certes comparable à celle du domaine bancaire et financier traditionnel, mais certaines particularités lui confèrent une originalité indéniable. Ces réponses résultent d’une analyse approfondie de la physionomie du secteur dans la Sous-région et des nombreux échanges avec les intervenants du secteur.

L’un des aspects de la problématique a consisté en la définition même de la micro-finance. Certes la définition généralement admise est celle du Groupe Consultatif pour l’Assistance aux plus Pauvres (CGAP) : « ensemble de services financiers et bancaires à destination des populations les plus pauvres », mais les enquêtes réalisées auprès des institutions de micro-finance de la zone ont révélé qu’une définition exclusivement centrée sur la pauvreté aurait à l’évidence conduit à élaborer un cadre réglementaire mal adapté à toute une catégorie d’établissements. En effet, les services de celle-ci s’adressent également à une population à revenus intermédiaires, bien au-dessus du seuil de pauvreté, et cependant exclue du secteur bancaire traditionnel pour diverses raisons ou qui ne parvient pas à trouver dans les banques classiques tous les services attendus.

QUEL EST LE CHAMP D’APPLICATION DE CETTE REGLEMENTATION ?

C’est pourquoi ce texte réunit dans son champ d’application toutes les structures effectuant une activité d’épargne et/ou de crédit, autres que celles visées par les dispositions de la Convention du 17 janvier 1992 portant harmonisation de la réglementation bancaire dans les Etats de l’Afrique Centrale.

Les enquêtes ont en outre montré qu’au sein de ce secteur, les structures de micro-finance présentent entre elles une grande diversité. Aussi, afin de proposer une réglementation la mieux adaptée, il s’est avéré nécessaire de les catégoriser.

Cette catégorisation tient :

  • à l’activité exercée. Il y a des structures qui effectuent exclusivement une activité d’épargne et de crédit ; celles qui délivrent des services annexes tels que la fourniture d’intrants à des agriculteurs ; celles dont l’activité d’épargne et de crédit n’est que le volet accessoire d’une activité de production et de commercialisation de denrées agricoles ou celles dont le volet micro-finance se développe à côté d’autres volets d’intervention à caractère social ; et enfin, les structures dont l’activité de micro-finance est spéculative et s’apparente à celle de marchands de biens et services.
  • au choix institutionnel fait par les promoteurs. Beaucoup de structures de micro-finance ont en effet adopté le statut coopératif ou mutualiste, d’autres un statut associatif, quelques unes celui de sociétés de capitaux tandis que de nombreuses autres, sans statut juridique spécifique, sont en voie d’institutionnalisation.
  • au mode d’organisation. Certaines structures exercent leur activité de manière indépendante tandis que d’autres sont rattachées à des réseaux dotés d’organes faîtiers qui jouent généralement un rôle de promotion, d’encadrement, de formation et de surveillance.
  • aux populations-cible auxquelles elles s’adressent. Certaines visent la clientèle du milieu rural, d’autres celle plus ou moins aisée du milieu urbain ; certaines font du crédit social tandis que d’autres se spécialisent dans le crédit dit productif.
  • à la dimension des structures. On observe en particulier une amplitude importante du niveau des fonds propres des structures, de 100 000 à plus de 500 millions FCFA.
  • enfin à la motivation des promoteurs. A côté d’ONG à but caritatif dont le volet microfinance est connexe à des activités à caractère social comme la santé ou l’éducation, de l’Etat entrepreneur, de bailleurs de fonds internationaux, existent aussi des promoteurs individuels locaux.

La catégorisation proposée distingue les structures exerçant une activité d’épargne et de crédit (première et deuxième catégories) de celles ayant exclusivement une activité de crédit (troisième catégorie). Dans l’optique d’assurer une bonne maîtrise des risques et de protéger les avoirs des épargnants, le dispositif réglementaire est plus exigeant pour les deux premières catégories.

Parmi les structures collectant l’épargne et accordant des crédits, il est apparu nécessaire de distinguer celles formées par des groupes solidaires dont les services s’adressent exclusivement aux membres de celles faisant appel à l’épargne du public et ayant le statut de société commerciale créées à l’initiative de promoteurs individuels ; c’est le sens de la distinction entre les première et deuxième catégories.

En raison de l’appel à l’épargne du public, les structures de micro-finance de la deuxième catégorie font l’objet de dispositions réglementaires plus contraignantes.

Enfin, au sein de la première catégorie, le projet de réglementation fait une place au statut associatif que des structures choisissent de plus en plus pour l’exercice de l’activité de microfinance, mais en exigeant un renforcement de leur organisation.

L’encadrement de l’activité demeure cependant le cœur du présent dispositif.

Les opérations autorisées aux entités de micro-finance y sont définies et géographiquement circonscrites. Elles comprennent des opérations principales et des opérations accessoires.

Parmi ces opérations, les placements financiers permettent l’instauration d’une relation normalisée entre les institutions de micro-finance et le secteur bancaire traditionnel, tandis que l’interbancarité entre elles y est organisée de manière à assurer la fluidité des échanges financiers dans le secteur par la possibilité de créer des chambres de compensation et la faculté donnée aux entités organisées en réseau de se doter d’un organe financier ayant le statut de banque.

Par contre, la limitation apportée aux moyens de paiement, ainsi que l’interdiction d’effectuer des opérations de banque avec l’étranger, marquent une ligne de démarcation nette avec le secteur bancaire traditionnel.

Les prérogatives dont dispose la COBAC dans le domaine réglementaire introduisent la souplesse nécessaire à l’établissement de normes prudentielles adaptées à la diversité des établissements.

Le mode d’organisation des structures conditionne également certains aspects réglementaires. L’intention de favoriser le regroupement des structures en réseau est prise en compte. Les responsabilités des organes faîtiers y sont définies, notamment en matière de représentation, d’administration, de gestion et de contrôle. La faculté d’introduire les demandes d’agrément des établissements affiliés et de leurs dirigeants confère à ces organes des prérogatives dans le développement des réseaux. En contrepartie, les structures affiliées à un réseau bénéficient de certains allègements en ce qui concerne la qualification des dirigeants, le contrôle, le reporting et certaines normes prudentielles, par rapport à celles exerçant leur activité de manière indépendante.

Enfin, le texte contient un dispositif de normes quantitatives qui constituent autant de signaux aussi bien pour les assujettis que pour l’Autorité de contrôle. Ces normes visent à assurer la pérennité du secteur. Celles-ci ainsi que certaines dispositions relatives à la gestion des établissements sont intégrées dans des règlements spécifiques édictés par la COBAC.

Le présent Règlement de référence et les textes d’application qui y sont joints constituent le corpus des règles qui régit l’activité de micro-finance dans la CEMAC.